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Cadastre et secteur immobilier : inanité déconcertante

Dernière mise à jour : 2 juil. 2020


Il y a de cela quatre ans, les slogans, les uns plus impétueux que les autres, pullulaient dans les médias et partout sur la toile[i], proclamant le « décollage » d’une Haïti pour les cimes du développement durable. Cela a commencé par ce cliché romanesque circulant sur les réseaux sociaux, révélant le visage désirable d’une ville flambant neuve, la nouvelle Port-au-Prince à l’orée des années 2030. Depuis, l’esprit débordant d’imagination, nous avons été comme attiré dans une volute mélodieuse nous chuchotant que notre chère patrie roule à vive allure vers une croissance économique. Vue les résolutions adoptées actuellement, cette croissance ci, parait-il, ne s’apparente pas à la théorie de la Croissance Endogène de Paul Romer, qui érige « l’intervention judicieuse de l’Etat » comme l'un des postulats clés nécessaires à l’atteinte de la croissance. Cependant, l’aphorisme : « Haïti is open for business » laissait croire que l’ère à l’investissement direct étranger, massif était enfin venu, ce qui semble être l’accomplissement d’un évènement généreux en opportunités positives, prédit depuis des siècles par nos oracles.

Mais pour les cerveaux équilibrés, difficile d’intégrer cette chimère. Raviver son e-réputation ne suffit pas à faire croire à ses chers enfants qu’Haïti retrouve sa fierté de jadis. L’intellectuel digne du nom à ce défaut de vouloir comprendre ce que l’on infère plausible. Cet article ne s’érige pas comme un dérobeur d’espoir. L’on comprend trop bien qu’ici s’il ne fait ne pas vivre du moins, l’espoir empêche bien de mourir. Mais, il attire l’intérêt sur l’un des facteurs les plus négligés et pourtant indissociables à la mise en place des bases économiques structurelles pour le développement durable de ce pays : le secteur immobilier. En regard de sa situation actuelle, sur les plans économique, financier et juridique, le secteur immobilier est une plaie bénigne, un obstacle majeur à notre bien-être social et économique. Les pratiques dépassées régulant ce secteur démontrent combien sont bafoués les principaux droits vitaux de l’individu en Haïti, tels ceux au logement, à la garantie et au respect de la propriété privée.

Nous avons compris qu’un pays, un Etat, une administration qui prospecte sans une planification scrupuleusement pensée est voué à la dérive. L’une des thèses sous-jacentes de la théorie de la Croissance Endogène de P. Romer stipule que si les rendements d’échelle s’avèrent pour la plupart constants, certains investissements peuvent entraîner des rendements croissants, augmentant ainsi le capital physique et stimulant la croissance. En de plus simples termes, si les infrastructures publiques et privées peuvent dans une certaine proportion générer des externalités positives en permettant des économies internes chez les entrepreneurs privés. Cela dit, la dotation du pays d’infrastructures immobilières significatives représenterait une stratégie efficiente pour stimuler la croissance, compte tenu du dynamisme caduc du secteur immobilier, inopérant aujourd’hui et incapable de répondre aux besoins de l’heure. Cela représente un chantier colossal requérant une planification conséquente et stratégique, qui doit partir de l’identification des nécessités du secteur, des retards cumulés, des besoins cruciaux. Les solutions envisagées doivent s’avérer cohérentes et tactiques, et des mesures correctives doivent être adoptées afin de restructurer depuis la base le secteur, le rendant apte à rattraper le train de la modernisation. Il faudrait avant tout, à des niveaux divers, étrangler à la source même les vannes de pratiques désuètes qui pourraient compromettre toute redynamisation dans le secteur.

De ce raisonnement surgissent des questions que l’on pose peu :

  1. Comment doter ce pays d’infrastructures immobilières significatives avec une approche juridique dépassée de la question ?

  2. Comment s’avancer sur ce chantier quand le cadastre urbain, rural et le registre foncier est quasi-inopérant ?

Ainsi, nous allons par les analyses subséquentes, qui se porteront surtout sur la gestion faite par l’Etat de la terre via le cadastre ; d’élucider les incohérences rendant inenvisageable l’expansion économique du secteur immobilier en Haïti.

Le cadastre est avant tout le registre public contenant le relevé des propriétés foncières et le nom des propriétaires. Il représente l’appareil administratif ayant pour attribution l’identification foncière du territoire nationale. Il doit servir d’outil à la capitalisation du foncier et s’avère être un élément prépondérant actuellement pour les pays en développement. En effet, un cadastre multilatéral (moderne, digitalisé, juridiquement opérationnel) constitue l’un des leviers centraux sur lequel doit s’édifier les bases de l’essor socio-économique. Car la garantie des droits sociaux relatifs à la propriété terrienne, le respect de la propriété immobilière ne sont-ils pas les premières parcelles accueillant le cabaret des spectacles sereins de l’Etat de droit ?

En Haïti, l’ONACA (Office National du Cadastre), l’entité étatique jouant ce rôle a été créé par décret en date du 23 novembre 1984. Mais ses missions semblent le dépasser. En effet, la désuétude de ses projets d’intervention est criante et leur manque d’efficacité et de tangibilité fragilise la gestion déjà précaire de la terre et compromet à la base la mise en chantier de secteur immobilier haïtien. Depuis sa création, seulement 5% de nos surfaces parcellaires ont été relevés. Donc l’investissement direct étranger dans le secteur immobilier demeure encore quasi-impossible, inapplicable, car à priori au niveau juridique les structures de bases sont incohérentes et inadaptées.


Regardons à présent la problématique économique afférente à la question. L’une des attributions premières du cadastre est de veiller à la répartition équitable des impôts locaux entre contribuables, en aval. Mais faudrait-il qu’en amont l’établissement d’un registre foncier actualisé et moderne soit un acquis. Ce qui favoriserait entre autres, la capitalisation du foncier, l’agrandissement de l’assiette fiscale par le truchement d’autorités communales détenteurs en temps réelles de l’ensemble des actualisations d’un registre foncier numérisé, édifié par l’ONACA au préalable. Tout ceci favoriserait le paiement des taxes foncières, donc représenterait un apport socio-économique significatif. Mais, dans la pratique tout va de travers. Et il y a là trop de malheureux exemples à citer pour l’illustrer. Et les désavantages socio-économiques parlent d’eux-mêmes du retard qu’on accumule dans ce domaine.

A priori on remarque que les bases ne sont pas posées pour accueillir un réel investissement dans le secteur, les sentiers les plus coriaces n'étant guère aplanis, la terre n'étant ni identifiée, ni géo référenciée. Donc point besoin de dire que nous ne disposons pas ni sur du manuscrit, ni sur du numérique, des données capitales qui s’avèreraient indispensables dans un processus de facilitation de l’investissement dans l’immobilier.

L’on termine par mettre en évidence les causes réelles de cette inanité du cadastre en Haïti. En effet elle se traduit par le dénuement des intervenants en moyens matériels et humains, mais surtout par un manque chronique de financement de la seule entité étatique répondant de ce domaine : l’ONACA. Ceci s’explique par le fait que depuis trois (3) exercices les décaissements effectués par l’Etat haïtien en faveur des comptes de l’ONACA tournent autour des 19 %, par rapport aux propositions de budget faites à l’endroit du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe. De plus l’obsolescence des instances juridiques afférentes à ce domaine déconcerte, la méconnaissance de la situation réelle de la terre n'étant pas pour sa part un fait innocent à cette déchéance. L’inadaptation du cadastre, unique structure étatique intervenant dans le domaine foncier est le premier mal qu’il faut soigner au lieu de s’attarder dans des interventions véhémentes et farfelues. Et déjà, la désorganisation dans les pratiques du cadastre haïtien tonifie sans qu’on sache le soupçonner, l’érection d’un immense système parallèle corrompu, un fléau imminent qui constituera l’un des éléments les plus polluants du climat socio-économique haïtien.

[i] Toile : l’internet, le web et/ou les réseaux sociaux.

Nathanaël Delva

Planificateur

Associé-Membre fondateur de Pentagone Consulting Group

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