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Partie 1: PATRIMONIALISATION & STRUCTURE SOCIO-ECONOMIQUE : Regard sur les forts Jacques & Alexandre

Dernière mise à jour : 19 mars 2023

Aujourd’hui, les sites naturels dans toutes les composantes géographiques occupent une place prépondérante dans la vie sociale, économique et politique de beaucoup de pays. En fait, certains éléments sont classés comme patrimoines matériels (matériel mobilier : peintures, sculptures, monnaies, instruments de musique, armes) ; immobiliers (monuments, sites archéologiques) et subaquatiques (épaves de navire, ruines et cites enfouies sous les mers) ou immatériels (traditions orales, arts du spectacle, rituels) nationaux.Une fois valorisés, ils deviennent du même coup sources de richesses pour le progrès et le développement de l’ensemble de la société. Cependant, le travail de la valorisation présente bien des ambigüités. En ce sens, elle nécessite beaucoup de délicatesse dans son application.

Ce travail veut décrire et présenter cette réalité à travers une étude spécifique. Pour réaliser cet article, j’ai travaillé sur les Forts Jacques et Alexandre comme cas d’étude avec un accent particulier sur Fort Jacques, les deux sont considérés comme patrimoines haïtiens. Et comme technique de collection de données, une enquête de terrain a été menée auprès des habitants de la zone. À travers le questionnaire, conçu dans le cadre de cette enquête géographique, nous cherchons à comprendre la façon dont les habitants de Forts Jacques et Alexandre perçoivent ces patrimoines. 40 personnes ont été interviewées de façon aléatoire et les questions se sont portées sur ce que représentent les Forts pour eux, leurs impacts économiques et leur gestion. Des résultats de l’enquête découlent une réflexion approfondie sur plusieurs aspects. Cet article est subdivisé en trois grands points : présentation des Forts Jacques et Alexandre comme patrimoines d’Haïti, le mode d’appropriation de ces patrimoines, la gestion et l’enjeu de la patrimonialisation, et les externalités.

Patrimoine, par définition, désigne des « biens de famille » c’est-à dire l’ensemble des biens privés appartenant au pater familias (Guy Di Méo, 2008). Pour qu’il y ait patrimoine, il faut donc des processus sociaux au sens complet du terme de patrimonialisation ; soient des modalités bien précises de transformation d’un objet, d’une idée, d’une valeur en son double symbolisme. En ce sens, le concept de patrimoine fait objet de plusieurs champs d’étude ; économique, culturel, social, politique et autres. En fait, dans cet article nous priorisons l’angle culturel.


Le patrimoine culturel, selon l’UNESCO, comprend les monuments et les collections d’objets. Et également les traditions, les expressions vivantes héritées de nos ancêtres, les pratiques sociales, les rituels, etc. (UNESCO, 2008). L’une des caractéristiques est de permettre d’établir un lien entre les générations passées et celles à venir. En fait, c’est une sorte de conservation. Il est donc issu d’un héritage, produit de l’histoire, plus ou moins ancienne, d’un territoire ou d’un groupe social. (Michel Vernières, 2015).

Forts Jacques et Alexandre, monuments historiques haïtiens, élevés au rang de patrimoines nationaux en 1995 par L’ISPAN (Institut de Sauvegarde du Patrimoine National) n’échappent pas à cette règle et sont assujettis à ce principe de conservation. Surtout, lorsque nous constatons le rôle de la valorisation et de la gestion du symbolisme d’un patrimoine matériel ou immatériel et les activités culturelles pouvant améliorer les conditions de vie et de développement socioéconomique dans l’environnement ambiant. Patrimonialiser Fort Jacques revient à regarder, d’une part, son poids historique et son mode d’appropriation par les habitants. D’autre part, s’il s’agit de simples représentations, de pratiques ou de traditions comme éléments importants dans le processus de développement du pays.

D’abord, c’est quoi la patrimonialisation ?

La patrimonialisation s’opère dans le souci de préserver un héritage (matériel ou immatériel), qui fait parfois l’objet de la fierté de toute une nation et représente l’âme ou le pilier d’un territoire au regard de ce qu’il charrie comme symbole. Ainsi, l’état, à travers des politiques publiques et par le truchement des organismes aménage, sans changer réellement le monument, crée des infrastructures dans le but de préservation, de développement touristique et économique. Par ailleurs, la patrimonialisation est aussi définie comme une intervention visant la création, la préservation ainsi que la diffusion de ces formes de patrimoine dans une perspective intergénérationnelle. (Marie Lavoie, 2014).

Fort Ogé, Jacmel. @SDL

Histoire et contexte : Forts Jacques et Alexandre

Dans cette lignée, Fort Jacques et Fort Alexandre sont deux éléments à patrimonialiser par l’Etat. Du point de vue historique, Fort Jaques a été construit au lendemain de l’indépendance sur ordre de Jean-Jacques Dessalines pour faire partie intégrante du système défensif destiné à contrer une éventuelle attaque des français visant à reprendre leur ancienne colonie. C’est de ce système de défense dont font partie également la Citadelle Henry, la Citadelle des Platons, et tant d’autres. Ce système s’appuyait sur une stratégie de repli à l’intérieur des terres protégées par des forts placés au sommet des montagnes et contrôlant les voies d’accès. Avec l’assassinat de l’empereur Jacques 1er au Pont-Rouge le 17 octobre 1806, le fort fut pillé. Plus tard, sous le gouvernement de Jean-Pierre Boyer (1818-1843), le Fort-Jacques fut transformé en prison politique, rapporte-t-on.

Durant l’occupation américaine (1915-1934), le Fort Jacques fut vandalisé et dépouillé de son armement et ses canons jetés dans les précipices avoisinants par les Marines, rapportent les habitants de la zone. Au milieu des années 1970, un pasteur américain M. Wallace Tur­nbull, dont l’église s’était établie à Fermathe dès 1950, entreprit sur ses fonds propres la restauration du fort. L’intervention de Turnbull, quoique non orthodoxe, sauva le monument historique d’une ruine certaine.

Avec la création de l’ISPAN le 29 mars 1979, certaines données et informations fut sorties officiellement sur Fort Jacques. Nous pouvons lire dans le bulletin de 2009, que le Fort fut doté de 11 bouches à feu, d’un four à pain, d’une poudrière, de deux citernes et d’un système de captage d’eau de pluie très élaboré. Le Fort a un plan irrégulier et est muni de quatre bastions dont l’un présente un plan circulaire (bastion nord-ouest). (Bulletin de l’ISPAN, 2009).

En ce qui concerne le Fort Alexandre, la tradition rapporte qu’il fut construit par Alexandre Pétion pour protéger et consolider la position stratégique du Fort Jacques, très vulnérable sur son flanc sud-est. Ce Fort dont la construction n’a pu être achevée présente un plan parfaitement carré muni de quatre bastions d’angle. L’aire d’entreprise du Parc National Fort Jacques et Fort Alexandre fut délimitée à 9 ha par décret du 29 aout 1978. Ce décret en fait une zone réservée.

Cette analyse a mis l’accent sur le Fort Jacques et non le Fort Alexandre, c’est tout simplement parce que ce dernier est inachevé et n’est quasiment pas visité. Malgré sa valeur comme patrimoine culturel et sa riche et belle histoire.

Après la restauration de M. Wallace Tur­nbull, dans les années 80, une autre série de travaux de restauration du Fort Jacques fut réalisée. En fait, selon le bulletin de 2009, cet aménagement consista en la création d’une aire de pique-nique comprenant une pinède, réalisé avec le concours du MARNDR, un parking et un centre d’accueil pour visiteurs. Le projet de restauration du Fort Jacques a subi un arrêt et est repris par l’ISPAN en 1992 sous forme d’un projet d’aménagement intégré du Parc. Ce projet a pour objectif à la fois la restauration et la mise en place d’un plan de protection de l’environnement naturel des monuments historiques. Avec la collaboration de la Direction Générale des Impôts (DGI) en Décembre 1992 le bornage officiel du Parc National Historique des Forts Jacques et Alexandre a été réalisé.

Malheureusement, il n’a pas été épargné par le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Les secousses telluriques meurtrières ont endommagé plusieurs pans de murs. L’aile Nord du Fort donnant sur la plaine du Cul-de-Sac a été gravement endommagée. L’aile Ouest a été rudement atteinte, tandis que la façade Sud a été partiellement détruite. Des prétendus travaux de réparation et de restauration ont été déclenchés en 2015 sous la direction encore une fois de l’ISPAN. Mais, nous sommes en 2020 et nous avons l’impression que rien n’a réellement changé depuis.

En fait, l’importance d’un monument historique dépend non seulement de son poids historique mais aussi de la représentation et du mode d’appropriation des gens de ce monument. Le processus de patrimonialisation peut difficilement se faire sans l’engagement collectif et communautaire. Or, le chômage, le manque d’accès à l’éducation et aux services de santé, le coût de la vie exagérément élevé dans le pays affectent la population en particulier les riverains de la zone dont le but est surtout la survie et non la participation à la construction d’un monument de patrimoine culturel non reconnu comme tel par la communauté. La façon dont les gens s’identifient à une valeur culturelle est déterminante dans le processus de patrimonialisation.

Références bibliographiques

· Choay, F. (2011). « Claude Lévi-Strauss et l’aménagement du territoire », Esprit, pp.39

· Décret du 16 Décembre 1982 : « décret modifiant les articles 1 et 4 du décret du 29 mars 1979 créant l’Institut de Sauvegarde et du Patrimoine National (ISPAN) et plaçant cet organisme sous la tutelle du Département de la présidence, de l’information et des relations publiques ».

· Di Méo, G. (2008). « Processus de patrimonialisation et construction des territoires ». Colloque : Patrimoine et industrie en Poitou-charents : connaitre pour valoriser.

· Lavoie, M. (2014). « Les enjeux de la patrimonialisation dans la gestion du développement économique : un cadre conceptuel », dans sociétés, no 125

· Les Bulletins de l’ISPAN, (2009)

· Throsby, D. (2010). « The economics of cultural policy », Cambridge University Press, Cambridge, pp.277

· UNESCO, 2008

· Vernières, M. (2015). « Le patrimoine : une ressource pour le développement », dans techniques et développement, no 118

Jean Roberson EXANTUS

Licencié en économie – Etudiant en Master de Géographie Economique






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