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Partie 2: PATRIMONIALISATION & STRUCTURE SOCIO-ECONOMIQUE : Regard sur les forts Jacques & Alexandre

Dernière mise à jour : 17 août 2023


Appropriation du site par les habitants de la zone

La représentation joue un rôle fondamental dans l’espace. Elle repose sur deux tableaux de la mémoire, consciente mais aussi non consciente. (Choay, 2011). Le but est d’essayer de ne pas se contenter d’une simple observation visuelle pour décrire le mode d’appropriation du territoire par les habitants. En outre, nous avons effectué un travail de terrain qui nous a permis de déceler l’importance du site aux yeux des gens qui vivent autour des Forts.

Pour les habitants, dans ce contexte précis de mode d’appropriation et de représentation, le site est considéré ou perçu de différentes façons. Trois figures sont communes au terrain d’études.


Fort Jacques : « Un symbole historique »

Pour un premier groupe de personnes, habitant la zone, le site représente un symbole historique. Il leur donne une particularité en termes d’identité. Ils en sont « fiers » et ils se sentent privilégiés. Cette représentation témoigne leur attachement à ce lieu, une connaissance de l’histoire du pays et un niveau d’instruction qui est au-dessus de la moyenne. Au fond, il représente pour eux, un cadre de vie idéal. Ce groupe représente 20% des répondants, soit 1 enquêté sur 5. Cette statistique témoigne la faiblesse de l’appropriation et le faible niveau de représentation et de culture historique du symbolisme de Fort Jacques dans la communauté.


Fort Jacques : « Un espace de divertissement et de repos »

Un second groupe d’habitants représentant 2/5 des enquêtés soit 37% des répondants, considère l’espace comme un refuge contre l’ennui et la fatigue. Le discours que ces gens adoptent montre que le Fort est un espace de détente. Ils affirment qu’ils y viennent se reposer surtout après une journée de travail pour ainsi chasser leur stress et oublier les déconvenues d’une journée et parfois de la vie.


Fort Jacques : « Nihil »

En dernier lieu, pour presque la moitié des enquêtés (41%), Fort Jacques est un « nihil ». Leur propre lieu de vie est un non-sens et le mot utilisé pour caractériser l’espace et qui revient le plus souvent c’est « rien ». Ils n’ont aucune appartenance et considération pour l’espace. Certains de ces répondants sont même très critiques à l’égard de l’espace. Sa présence, selon eux ne change rien dans la zone et n’influe pas positivement le mode de vie. Ils gardent une représentation très péjorative qui renvoie systématiquement à un patrimoine en perdition, en déconfiture, qui ne s’est jamais réellement imposé, non rénové donc profondément sous-exploité.


Cet exercice a permis de déceler une considération complexe faite du Fort Jacques, vu plus comme un patrimoine bâti que culturel. Cette considération est beaucoup plus complexe quand nous examinons le discours des gens, sous l’angle du vécu et des représentations. C’est une approche constructiviste qui s’impose dans ce cas précis pour comprendre le phénomène. Ces différents discours expriment à la fois des émotions, des déceptions et les désirs des habitants de la zone. D’où, le processus de valorisation ou revalorisation de tout le Parc National historique doit s’appuyer sur le mode d’appropriation que font les gens de l’espace, les potentialités du site et les risques éventuels découlant dudit processus. Ainsi, les autorités pourront élaborer une politique de gestion saine et efficace assurant d’une part, la pérennisation du patrimoine et tout ce qu’il représente et d’autre part, un attrait touristique avec pour effet une retombée positive sur l’économie locale.


Gestion et enjeux de la patrimonialisation

Parler de gestion d’un monument revient à regarder l’entretien et les efforts déployés par les responsables (autorités et population locale) pour le maintenir le plus que possible en condition. Dans ce cas précis, il est clair que les Forts ne sont pas entretenus ni mis en valeur. Les gens interviewés sont quasiment unanimes à reconnaitre que le Fort n’est pas géré. Ils avancent presque tous comme arguments : « l’insalubrité, mauvais fonctionnement, entretien inexistant, absence de supervision, manque de contrôle et de mesures adéquates quand certains éléments importants partent en vrille. Pour eux, le site est livré à lui-même ».


Trois touristes rencontrés sur place confirment aussi les allégations des habitants ou encore abondent dans le même sens. En fait, pour le premier, l’endroit a beaucoup de potentiels, mais il est négligé. Il confie ne pas se sentir en sécurité en raison de tous ces gens qui y ont accès sans en avoir l’autorisation. Dans cette lignée, par exemple, il affirme même avoir peur de sortir son téléphone pour prendre des photos. Cependant, il met en exergue l’attrait historique de l’endroit et sa vue somptueuse. Le deuxième, de son côté, parle avec plus d’amertume en disant que Fort Jacques est dégoutant. Il souligne, l’insalubrité de ce soi-disant patrimoine est impardonnable. En ce sens, il souhaite un sérieux remue-ménage au niveau des toilettes qui sont dans un état plus que déplorable. Il termine pour dire, que dans un endroit en pareil état, il ne peut emmener personne avec lui parce qu’il mourrait de honte. Si critique et frustré, il n’a même pas pris le soin de souligner aucun aspect positif du Parc. Et, enfin, le dernier touriste, accompagné d’autres amis affirme qu’il s’était rendu à Fort Jacques après avoir lu un article dans « Loop Haïti » et cela l’a un peu excité. Pour lui, l’endroit est vraiment mal organisé. Il souligne, à cet effet, plusieurs grands problèmes en ces termes : « Dès notre arrivée, des guides nous agressent. Les responsables du Fort ne sont pas identifiés et n’accueillent pas les visiteurs. Nous sommes finalement entrés en escaladant un tas de sable. Le Fort est détruit et il y a des déchets partout. Et enfin, un supposé responsable vient à notre rencontre et nous exige de payer 25 gourdes chacun. Pour moi, le seul point positif est la vue magnifique sur Port-au-Prince ».

Dans cette perspective, M. Georges Durandis, le Directeur Général de l’ISPAN confirme dans une présentation le 23 mars 2019 dans les locaux du fort, que l’organisme qu’il dirige n’est pas responsable de la gestion technique du site. Cette déclaration montre clairement que l’ISPAN ne reconnait pas sa mission au regard de l’objectif fixé : redorer l’image des Parcs historiques nationaux.

La conjugaison de ces déclarations négatives montre clairement que le parc national historique n’est pas géré. Et là, l’ISPAN se déresponsabilise. Ce dernier a été créé pour renforcer l’image des Parcs nationaux historiques, améliorer l’entretien et le contrôle du site et les services offerts aux visiteurs. En effet, Quelle serait la politique de gestion à envisager pour les parcs historiques nationaux tels Forts Jacques et Alexandre ?


La gestion des Forts Jacques et Alexandre comme patrimoines doit passer par l’évaluation culturelle, économique et politique et la gestion des externalités. Elle doit prendre place au niveau local, national et international. Dans cette perspective, la valeur culturelle ne peut être confondue à une valeur économique. Cependant, elle peut être désagrégée en plusieurs éléments : valeur esthétique, valeur spirituelle, valeur sociale, valeur historique, valeur symbolique, valeur d’authenticité et valeur liée à la localisation géographique. (D. Throsby, 2010). Dans cet ordre d’idée, le patrimoine culturel au-delà de sa valeur intrinsèque permet de gérer d’autres formes de répercussions en fonction non seulement des objectifs de croissance, mais de bien-être économique et humain.


Externalités de la patrimonialisation

Si la patrimonialisation permet de pérenniser le passé, elle provoque également des externalités positives et négatives. Comme nous l’avons démontré à la section précédente, ces externalités constituent d’importants enjeux pour le développement économique. En fait, Bernard Billaudot, cité par Marie Lavoie, explique clairement que la patrimonialisation n’est pas un processus qui vise directement le développement économique (2014 : p.147). Ce sont plus précisément les externalités de ce processus qui produisent un impact sur le niveau de développement économique. Dans ce cadre, nous distinguons deux types d’externalités : positives et négatives

Au niveau des externalités négatives, le tourisme culturel et le tourisme durable peuvent s’avérer, par exemple, une forme d’externalité négative à la suite de la patrimonialisation. Au lieu de contribuer positivement au développement économique et au bien-être économique et humain, certaines formes de développement touristiques découlant de la patrimonialisation peuvent nuire considérablement au bien-être des populations locales.


En revanche, d’autres externalités peuvent être positives bien que difficiles à évaluer par leur intangibilité. Des visites organisées et rentabilisées des Forts peuvent avoir des retombées autres qu’économiques pour la communauté et se traduire par un accroissement du capital humain et du capital social. Dans cette perspective, Arjo Klamer, cité aussi par Marie Lavoie, avance que pour voir cet accroissement du capital humain, il faut qu’un individu puisse acquérir comme rudiments un seuil de connaissances lui permettant d’apprécier l’art en question. Un investissement dans la connaissance est, sans doute, nécessaire afin d’acquérir le goût de cet art.

Références bibliographiques

· Choay, F. (2011). « Claude Lévi-Strauss et l’aménagement du territoire », Esprit, pp.39

· Décret du 16 Décembre 1982 : « décret modifiant les articles 1 et 4 du décret du 29 mars 1979 créant l’Institut de Sauvegarde et du Patrimoine National (ISPAN) et plaçant cet organisme sous la tutelle du Département de la présidence, de l’information et des relations publiques ».

· Di Méo, G. (2008). « Processus de patrimonialisation et construction des territoires ». Colloque : Patrimoine et industrie en Poitou-charents : connaitre pour valoriser.

· Lavoie, M. (2014). « Les enjeux de la patrimonialisation dans la gestion du développement économique : un cadre conceptuel », dans sociétés, no 125

· Les Bulletins de l’ISPAN, (2009)

· Throsby, D. (2010). « The economics of cultural policy », Cambridge University Press, Cambridge, pp.277

· UNESCO, 2008

· Vernières, M. (2015). « Le patrimoine : une ressource pour le développement », dans techniques et développement, no 118

Jean Roberson EXANTUS

Licencié en Economie – Etudiant en Master de Géographie Economique


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